14 avril 2017

Vendredi Saint : Le reniement de saint Pierre

Le musée du Louvre présente jusqu'au 22 mai 2017 une exposition consacrée à Valentin de Boulogne, peintre français mort en 1634 à Rome où il passa toute sa carrière. Adepte de la "manière sombre", il est considéré comme le plus doué des disciples du Caravage, qui venait de révolutionner la peinture en l'orientant vers un réalisme parfois abrupt, servi par l'emploi du clair-obscur. 

Peu après son arrivée à Rome vers 1614, Valentin de Boulogne réalise une grande huile sur toile (large de 2,40 m) pour illustrer le reniement de saint Pierre. Elle est conservée habituellement à Florence, à la Fondazione di Studi di Storia dell’Arte Roberto Longhi. 

Sur un fond brun, la scène nous présente, autour d'un bas-relief antique, sept personnages, formant trois groupes. Au centre, deux soldats jouent de l'argent aux dés. Les dés viennent d'être lancés, et n'ont pas encore donné leur résultat. Quel sera le sort ? Habilement, ce suspense renvoie à ce qui passe autour : un événement sur la gauche distrait les deux personnages de droite. Un officier au plumet blanc montre de la main gauche (qui se retrouve au centre du tableau) le vieillard qu'une servante vient d'agripper. Du pouce, son interlocuteur nous renvoie plus discrètement vers la même scène. Le vieillard qui se réchauffait auprès d'un brasero ne semble pas rassuré. Tendu vers l'avant, il semble désireux de quitter le tableau pour échapper à cette femme agressive, flanquée d'un soldat sombre et menaçant. Une fois les dés jetés, les soldats se relèveront-ils pour l'appréhender ? Qu'adviendra-t-il alors de Pierre, et de l'Eglise à travers lui ? Sans St Pierre, le paganisme évoqué par le pesant bas-relief resterait-il seul vainqueur ?


Centrée sur le jeu des soldats, l'organisation de cette oeuvre illustre parfaitement le thème du reniement : St Pierre cherche à fuir, il voudrait s'enfoncer dans la nuit plutôt que de reconnaître qu'il est disciple de Jésus. S'il l'avouait, il reviendrait à la place d'honneur, au centre, en retrouvant son intégrité et sa dignité. Mais son attitude, si contraire à ses grandes promesses de fidélité, lui vaut de sortir du tableau, comme s'il sortait de l'Histoire. 

Le jeu de dés évoque un autre jeu, celui des mains, très réalistes, vivantes, véhémentes, "à l'italienne". Cette vivacité ajoute à l'anxiété de St Pierre, et au trouble qui agite son âme.

Les accessoires ne sont pas anodins. Les deux pièces d'argent posées sur la table renvoient aux trente deniers obtenus par Judas, tandis que nous reverrons les dés au pied de la Croix, quand les soldats (les mêmes ?) se partageront les vêtements de Jésus. L'officier qui désigne Pierre sera peut-être le centurion affirmant à la mort du Christ que "vraiment celui-ci était Fils de Dieu !" (ce que St Pierre n'a pas ici le courage de confesser)... Sa manche rouge peut évoquer le sang généreusement versé par Jésus, ce sang que l'apôtre a si peur de verser lui-même. 
Quant aux braises du feu, elles reviendront plus tard, quand le Christ ressuscité préparera pour ses disciples un repas de poissons, avant que St Pierre ne rachète son triple reniement par une triple protestation d'amour (en Jn 21). 

En ce Vendredi Saint, cette oeuvre originale nous renvoie à nos propres trahisons. Mais le destin de Saint Pierre, né de la grâce du Christ stimulant son repentir, nous encourage à espérer avec confiance.


NB : lu de droite à gauche, ce tableau n'est pas sans rappeler par sa mise en scène un des chefs-d'oeuvre du Caravage, la Vocation de St Matthieu (le mouvement, le nombre des personnages, l'argent, la rapière, la manche rouge...). Avec une différence majeure : à ce moment, St Pierre fait corps avec son Seigneur.